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Du beau monde à ce festival des idées !
"[...]qu’est-ce qui, dans la crise que nous vivons actuellement, rend les choses si difficiles pour les écrivains, pour les romanciers, de l’aborder ? Pourquoi ne s’y risquent-ils pas ? Ce n’est pas qu’il n’existe pas d’écrits à propos du changement climatique, mais ce sont soit des essais, soit de la littérature spéculative, de la science-fiction ou des fictions apocalyptiques. Rien ou presque dans la littérature considérée comme « sérieuse » par les grands journaux de critiques anglais ou américains. Comment comprendre cela ?"
"À partir de la fin du XVIIIe siècle, l’idée de probabilité devient très importante, notamment pour les assurances : les probabilités et leur calcul fait irruption dans la vie des gens, à laquelle elles s’intègrent, encourageant des formes de planification de la vie. Les probabilités deviennent un aspect fondamental de la vie bourgeoise. Et c’est demeuré depuis. Alors si, en tant qu’écrivain, vous vous aventurez à écrire sur un évènement très soudain ou très inattendu, la première objection que vous recevrez de la part des critiques, c’est que c’est totalement improbable… qu’il s’agit d’une pure coïncidence ! et qu’un écrivain ne peut pas se permettre de se reposer sur les coïncidences, qu’il y a quelque chose qui ne va pas dans sa façon d’écrire… Et pourtant, si vous y réfléchissez deux secondes, vous vous rendez compte que la vie est remplie de coïncidences."
" Bruno Latour a montré, il y a un moment déjà, que nous n’avons jamais été modernes. Mais nous nous imaginons l’être. Et soudain, nous découvrons que beaucoup de ces idées étaient en fait des illusions, des fantasmes. La crise climatique est aussi une crise de la culture et de l’imagination. Et elle prend de très nombreuses formes. À commencer par la remise en question du fantasme sur lequel la civilisation occidentale moderne a tenté de se bâtir : la fameuse idée de progrès. Une idée qui fut d’abord énoncée par un économiste français, Turgot, en 1750 ; depuis lors, elle s’est trouvé au fondement de la société contemporaine, de sorte que même lorsque l’histoire est écrite, elle l’est toujours avec l’idée qu’il existe une sorte de point final et que les choses continuent toujours à s’améliorer. Il apparait clairement aujourd’hui que le changement climatique, et c’est pour le moment l’une des conséquences les plus manifestes, a totalement détruit ces illusions ; qu’il les a précisément fait apparaitre pour ce qu’elles sont : des illusions. "
"un jour, je me suis rendu compte que ma résistance à l’inclure dans une œuvre de fiction était liée à l’anxiété d’écrire sur quelque chose qui paraissait complètement improbable. C’est pour les mêmes raisons qu’un événement aussi considérable que l’ouragan Sandy n’a pas fait l’objet d’un véritable traitement littéraire. Pourtant, de nombreuses personnes ont été tuées, de grandes parties de la ville se sont trouvées inondées, la vie quotidienne des habitants a été profondément perturbée. Ce qui intéressant c’est de noter, en comparaison, qu’un événement comme le 11 septembre a suscité quantité de livres, au point qu’on pourrait en remplir une bibliothèque – alors que Sandy n’a rien produit littérairement. C’est étrange parce que des milliers d’écrivains habitent New York. Mais vous seriez bien en peine de trouver un film ou un roman qui se déroule pendant l’ouragan Sandy. Pourtant, il existe au moins sept ou huit romans sur New York inondée dans le futur. Mais sur l’inondation aujourd’hui, il n’y a rien. Cela en dit long sur la façon dont l’imaginaire du changement climatique a pris la forme d’un fantasme plutôt que d’une représentation de la réalité dans laquelle nous vivons déjà."
"Ce que la crise climatique exige vraiment de nous, c’est une sorte de réponse collective. Et pourtant, toutes nos formes de culture, et surtout la littérature, sont de plus en plus centrées sur l’identité, sur la politique identitaire ou sur l’identité individuelle. [...] L’un des effets de la modernité est que la littérature s’est individualisée pour les lecteurs comme pour les auteurs. Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, la lecture silencieuse était une pratique à laquelle les gens s’adonnaient : ils lisaient à haute voix et généralement en groupe. Mais cette pratique collective et orale a disparu au XIXe siècle et les lecteurs ont commencé à lire seuls, et les écrivains à écrire seuls aussi. Vous avez cette sorte d’individuation à deux niveaux : l’écrivain assis seul à son bureau, tentant de créer des textes complètement idiosyncrasiques et le lecteur, seul lui aussi, lisant dans le silence de sa propre tête… J’ai donc voulu essayer de revenir à des pratiques collectives anciennes en imaginant un texte qui n’est pas destiné à être lu en silence mais à voix haute et en groupe. Or, dès que vous commencez à emprunter cette direction, vous vous rendez compte que la voix peut être scandée ; cela m’a logiquement conduit à collaborer également avec un musicien pour ce texte. J’essaie de trouver d’autres moyens, d’autres formes de pratique littéraire.